Michel Aubry / Paris

25.10.2013 - 11.01.2014 Vernissage 24.10.2013



Dossier de presse : pdf press release
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Après Salle d'armes en 2006 (galerie Marion Meyer) et La loge fantôme en 2012, la galerie Eva Meyer est ravie de présenter la nouvelle exposition de Michel Aubry, en parallèle de son exposition personnelle The Searchers au Crédac - Centre d'art contemporain d'Ivry (jusqu'au 15 décembre 2013).


Artiste minutieux, chasseur de savoir-faire en quête de perfection, Michel Aubry réalise depuis plus d'une vingtaine d'années une oeuvre programmatique, avant tout centrée autour de processus de fabrication. Fasciné par les launeddas, une famille d'instruments de musique sardes fabriqués à partir de roseaux, l'artiste s'intéresse très tôt à leur sonorité et leur musique de tradition orale. Sa Table de conversion (1992), où une longueur de roseau correspond à un son précis, lui permet de créer des analogies entre sons et formes, entre l'invisible et le visible. Celle-ci investit la quasi totalité de son oeuvre, des vêtements et mobilier constructivistes mis en musique aux installations de « partitions » tridimensionnelles.

Michel Aubry questionne ainsi les limites entre art et artisanat. Son intérêt pour la fabrication et le savoir-faire, des launeddas mais aussi du mobilier constructiviste, l'amène à étudier chaque détail afin de « réinterpréter » et de « donner nouvelle vie » à l'objet. Difficile alors de ne pas rapprocher sa pratique de celle d'un sculpteur. En plus de sculpter les sons, Michel Aubry pense et façonne le bois, la cire, le métal et même le tissu pour exprimer et faire ressortir la partition qui les anime.

 

Son exposition à la galerie Eva Meyer présente cinq oeuvres, dont la plus ancienne date de 1984. De 18h30 à 22h (1984-2013), installé dans le sous-sol de la galerie, diffuse le son du frottement des bandes magnétiques sur des cylindres en bois grâce à des anches posées sur chaque extrémité. Oeuvre pionnière dans la pratique de Michel Aubry, et aujourd'hui revisitée, elle représente les premières recherches de l'artiste sur les corrélations entre art du temps et art de l'espace.

Partitions (1995) et Tapis moulage (2013), exposés dès l'entrée de la galerie, peuvent être définis comme des « moulages de sons ». Ces pentagones en cire, dont les couleurs se rapportent chacune à une famille d'instruments, sont « musicalisés » par un évidement de la matière en forme de circuit le long des cinq côtés. Le volume d'air créé, matérialisé par une anche à l'entrée et un orifice à la sortie, génère ainsi les cinq notes d'un accord modal. Quant aux formes données aux pentagones, elles dépendent avant tout de la partition que Michel Aubry souhaite mettre en musique : chaque longueur correspond à un son, du plus grave au plus aigu.

Le Manteau d'Ernst Jünger (2011), dont la minutie rend compte du travail de Michel Aubry, renvoie quant à lui aux symboles de puissance et de pouvoir. Ernst Jünger (1895-1998), soldat allemand pendant la Première Guerre Mondiale puis officier de l'Occupation allemande à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale, a raconté dans ses écrits les horreurs vécues et les difficultés à conserver son intégrité. Son manteau, où la fourrure vient réchauffer le drap de laine, rappelle la pratique des guerriers qui dessinaient des symboles d'animaux sur leurs vêtements et leurs corps pour être plus forts au combat. Les insectes brodés à l'intérieur, invisible lorsque le manteau est porté, jouent ainsi le rôle de talisman, mais peuvent aussi être assimilés à des médailles et des trophées. Passionné dès son enfance où il glanait les vestiges de guerre, Michel Aubry s'interroge à travers cette oeuvre sur l'explosion guerrière, que l'on retrouve notamment dans sa Salle d'armes, installation de 2003.

Enfin, le film de 2013 présenté au sous-sol de la galerie trace un lien direct avec son exposition personnelle The Searchers au Crédac - Centre d'art contemporain d'Ivry. A partir d'un document photographique, Michel Aubry « redonne vie » à la salle de consultation de Constantin Melnikov du pavillon de l'URSS à l'Exposition des Arts Décoratifs et industriels modernes de 1925 à Paris.

Marie Dernoncourt



 

Texte de Claire Le Restif, commissaire de l?exposition The Searchers (20 septembre ? 15 décembre 2013) et directrice du Crédac ? Centre d?art contemporain d?Ivry.

 

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Cher Michel Aubry,

La visite de ton exposition chez Eva Meyer, m?a permis de vérifier une chose très importante. Dans ton parcours artistique, entamé il y a une trentaine d?années, demeurent des préoccupations tenaces, voire obsessionnelles. Cette exposition si modeste soit-elle en taille, réussit le pari de mettre en évidence qu?un artiste, bien souvent explore et recherche sa vie durant, le même objet. A l?image de « l?objet perdu » que recherchent les héros dans l?espace « westernien » d?Anthony Mann ou de John Ford, ou bien de la « transmission perdue » comme chez Andrei Tarkovski (dans Andreï Roublev).
Cette exposition « pentacordale » propose, à travers cinq ?uvres, une partition légère mais complète de tous les axes de ton travail.
Explorateur, chercheur, enquêteur, joueur, copiste, archéologue, sont autant de qualificatifs qui me viennent à l?esprit quand je pense à « ton attitude ». Les fictions que tu mets en place à travers tes sculptures ou tes films communiquent autant de vrai que de faux, parce que le faux possède souvent davantage de contenu que le vrai.
Tu te passionnes pour l?enregistrement et la transmission.
C?est la raison pour laquelle tu as choisi la cire comme l?un de tes matériaux de prédilection. La cire fait référence à la sculpture et fait aussi écho à une période de l?histoire de la musique où pour la première fois on a enregistré et reproduit un événement sonore. Sculpture et musique se rejoignent...

Le « tapis » de cire, situé dès l?entrée de l?exposition, ordonne un monde. Les cannes et les anches créent un site à la géométrie primitive. Le souffle continu qui se muait en sons n?anime pas les launeddas. Les cannes sont virtuellement parcourues par une énergie mnémonique. Tes sculptures sont souvent silencieuses mais potentiellement jouables, comme c?est le cas de ta « matrice » constituée de cinq éléments présentés au mur. Les moulages de cire dans leur état cristallisé contiennent la propagation des ondes sonores et stoppent le défilement du temps.
Cette Table de conversion que tu as mise en place en 1992, à partir d?un système musical traditionnel sarde, génère tes sculptures en une sorte de translation sculpturale. Les cinq pentagones de cire correspondent aux formes musicales fondamentales constituant l?instrument (les launeddas). Il s?agit de la partition générique de toutes les pièces de cette série, parfois endémique, comme la croissance des roseaux que tu cultives et cueilles depuis longtemps. A travers ce tableau de correspondances entre des hauteurs musicales et des longueurs métriques, tu donnes aux sons leur équivalent dans l?espace.
La cire renvoie à l?enregistrement mais aussi à l?effacement de l?original, provoqué par la fonte, problématique héritée de la sculpture et de ses techniques traditionnelles de moulage. Les notions d?unicité, de perte du modèle, de mutation des origines supposées, d?interprétation sont centrales dans ton travail de sculpteur ou dans ton travail de chercheur.
Le vide et le spectre sont partout palpables.

De même pour les vêtements que tu crées, qui représentent pour moi, l?enveloppe du corps absent. Par exemple Le manteau d?Ernst Jünger (2011) est fascinant parce qu?il possède un véritable potentiel fictionnel. Situé au centre de l?exposition, ce manteau  militaire fait planer l?évocation de la guerre mêlée à la passion de Jünger pour l?entomologie. Figure controversée ayant participé aux deux guerres mondiales, cet écrivain allemand (1895-1998) a beaucoup théorisé et publié dans l?entre-deux-guerres, période historique constamment visitée par ton travail.
Si l?extérieur du manteau est l?enveloppe de l?uniforme, l?intérieur est dédié à l?intimité de sa passion pour les insectes. Le manteau de Jünger semble ainsi « mis en musique » par les motifs brodés.

De même que l?installation sonore intitulée De 18h30 à 22h (1984) met véritablement « en musique » la galerie. Comme au temps du Field Recording, tu explores ce territoire. A l?aide d?un magnétophone à bande magnétique, tu as enregistré dans la galerie le son d?objets en bois que tu diffuses à l?endroit-même de l?enregistrement. Les ethnomusicologues comme Alan Lomax utilisaient ces machines, devenues portables, pour enregistrer tout ce qui était jusqu?alors de l?ordre de l?oralité. C?est grâce à ce type de machines qu?ont été recueillis les derniers témoignages de certaines tribus, mais aussi les confessions et les écoutes policières dans les séries télévisées des années 1970. L?oralité est mythique, d?autant plus que nous sommes dans une société où tout est noté, catalogué, consigné.
Tu t?intéresses davantage à l?ethnomusicologue qui suit le colonisateur, qu?à la colonisation elle-même. Comme tu t?intéresses plus aux artistes et aux architectes soviétiques venus conquérir l?Ouest avec leurs formes nouvelles à l?occasion de l?Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris en 1925, qu?à l?analyse géopolitique des foires universelles des années 1930.
De 18h30 à 22h
(1984) « met en musique » un film d?animation (n/b) que tu viens de produire. Pour réaliser ce film, tu as pris comme point d?origine une photographie du mobilier crée par Isaak Rabinovic, le décorateur du célèbre film Aelita (Yakov Protazanov, 1924), pour le Pavillon soviétique de l?Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris en 1925. L?architecte constructiviste Konstantin Melnikov avait confié à Rabinovic le soin de « mettre en scène » les publications et les affiches d?avant-garde produites par les constructivistes. L??il attentif remarquera qu?un illusionniste invisible fait disparaître chacun des éléments situés dans le mobilier, jusqu?à ce qu?il ne devienne qu?un décor vide, sans trace, ni archive. Un objet perdu.

Tu as dit « Pour moi la sculpture c?est la colonne d?air, pas son contenant. L?enveloppe met en évidence une autre sculpture invisible... ». C?est sans doute cette autre sculpture invisible que je perçois autour.

 

Grâce à toi, j?ai découvert que le bruit du vent n?existe pas, et je t?en remercie.

 

 

 

Claire Le Restif, octobre 2013 à Ivry-sur-Seine

 

Jusqu?au 15 décembre 2013, le Centre d?art contemporain d?Ivry - le Crédac (www.credac.fr) accueille Michel Aubry pour une exposition intitulée The Searchers.
D?une conquête de l?Ouest à l?autre, de celle des constructivistes russes Rodtchenko et Melnikov (présents dans l?exposition) venus conquérir Paris en 1925 à celle du héros de John Ford dans The Searchers (1956), Michel Aubry compose au Luxy (cinéma d?art et essai d?Ivry www.luxy.ivry94.fr) un programme de films à son image, celle du chercheur poursuivant un objet élusif.
Le cycle a ouvert avec Aelita (Yakov Protazanov, 1924) et se terminera avec The Searchers (John Ford, 1956) une soirée/débat en présence de Michel Aubry le 13 décembre à 21h.