(...) Pascale Rémita entreprend une déconstruction singulière et patiente des images et des flux actuels à l'oeuvre dans notre société médiatique. (...) Elle s'est longtemps et délibérément placée dans une posture de captation d'une iconologie fantôme, voire cachée. Menées sur le mode de l'enquête impersonnelle, ses oeuvres constituent autant de récits fragmentés et anonymes interrogeant notre rapport à l'image, à ses mobilités et ses persistances.(...) Par le biais d'une collecte qu'elle effectue à partir d'Internet, archivage aléatoire et non systématique, l'artiste n'a de cesse d'ausculter les différentes strates et dimensions qui composent et alimentent notre sphère moderne. (...) En traitant la matière picturale à partir de focales changeantes et déconcertantes, l'artiste aménage  un mixage complexe et sensible de données et de codes contemporains. Perspectives paysagères, décors montagneux ou enneigés,  minéralogie multiple et indistincte, les sujets des toiles de Pascale Rémita entretiennent une esthétique généralisée de la zone et des arrières fonds, des espaces interlopes et des luminosités infra minces. (...)

Plans-séquences d'environnements terrestres, mapping à plat de milieux déserts et d'immensités, la peinture de Pascale Rémita déploie une équivalence entre la cartographie et la topologie. (...) Au nombre des modèles dont s'inspire Rémita, on citera les visions satellitaires SPOT, les programmes géostratégiques ou les systèmes de reconnaissance de formes, la stéréovision et le suivi d'objet en mouvement. L'artiste envisage et appréhende notre rapport au monde à la manière d'un réseau d'échanges, ce faisant elle interroge cette présence active du monde et de son écho, à travers l'idée de vision imaginaire ou d'images fossiles. L'impression du déjà vu est un mode très actif dans les oeuvres de l'artiste.
L'artiste parle de « paysages d'intuition » quand elle décrit l'appréhension sensitive et mnésique caractéristique à son travail. Le territoire ici est à entendre au sens large : précipité de reflets, chocs et collisions, glissements physiques et du regard. Par appositions et collages, l'accrochage de ses pièces se développe dans une circulation d'éléments mis en réseau; ces ensembles s'orchestrent par trames de micro ou « intra-fictions », instaurant une dynamique des connexions. (...)

Derrière le parcellaire et le détail, il y a vraisemblablement l'utopie et la métaphore d'une vision globale, au propre comme au figuré, entre panoramique hypothétique et zoom improbable, se proposant d'explorer des épaisseurs observables ou dissimulées. Un voyage aux deux bouts du monde visible. L'exploration devient véritablement narration. (...)
Fonctionnant par analogies entre territoire et texture picturale, les reliefs ou les contours des sujets de ses toiles peuvent devenir des motifs à part entière. (...)

Certains sujets dont il est question sont des édifices désertés et des sites abandonnés. (...) On pensera aux images de la guerre du Golfe largement diffusées à la télévision ainsi qu'aux autres conflits postérieurs. Les registres militaires ou de la vidéo surveillance, des cibles et de la visée sont les marqueurs d'une époque, de ce que d'aucuns ont dénommé par « ère du soupçon ». Le doute sur ce que l'on regarde, comme le caractère polymorphe de ce qui est donné à voir. La preuve par l'image est devenue un leurre relatif. (...)

Dialogue selon des limites floues et des bords volatiles, les oeuvres de l'artiste s'élaborent comme une plongée furtive dans les potentialités des objets et des territoires. (...)

Frédéric Emprou
Extrait du texte : Les Modernes Latitudes paru in catalogue  Pascale Rémita
FRAC des Pays de la Loire - Carquefou
Le Ring - Nantes
Galerie Marion Meyer - Paris
Mars  /Avril 2009

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Exposition « Morphologies »                               
Christian Garcelon, 2010
PASCALE RÉMITA
Morphologies

« Les peintures de Pascale Rémita distillent une tension permanente entre abstraction et figuration, précision et dissolution, expression gestuelle et neutralité photographique, subjectivité et anonymat. Toujours habitées par leur spectre photographique, ses compositions revêtent une forme de douceur matiériste plutôt séductrice. Un plaisir pictural qui n'occulte jamais le fait que l'oeuvre de Pascale Rémita demeure avant tout un combat du regard pour comprendre le monde » (1)
Tout l'oeuvre de Pascale Rémita se construit sur la vision, la perception, l'observation.« J'aime les images de source technologique et scientifique. J'aime me sentir au coeur de la fabrication d'images censées être au plus proche d'une réalité alors que les images que produisent ces disciplines sont des images recomposées, interprétées, toujours à décoder ».

A l'origine des peintures de Pascale Rémita, il y a toujours une image, du "déjà-là", "déjà-pris" soit par  elle-même, soit par d'autres. En filigrane de chaque peinture, dans le blanc immaculé de la toile, se dépose une image qu'elle capture dans les médias, journaux ou cyberespace.
Depuis 10 ans, Pascale Rémita regarde le monde et les images du monde.
Un monde devenu virtuellement accessible en tout point de la planète à la vitesse de la lumière de Google Earth depuis nos écrans connectés à internet. Ecrans qui nous relient au monde et simultanément font écran à la matérialité de la  vie quotidienne, à l'expérience physique du temps et de l'espace.
Etrangement la peinture de Pascale Rémita nous déplace, et place nos regards au dessus de territoires énigmatiques, saisissants et pourtant familiers. Nous sommes invités paradoxalement à regarder les choses de très loin pour les observer de plus près. Et dans l'azur combien de satellites d'observation en actions. L'artiste opère comme une spatialisation de notre regard et de notre perception. Nous faisons face à l'immensité apparemment désertée, d'une ville, d'une montagne, d'un désert aux surfaces floutées. De ces silencieux paysages émergent un sentiment de détachement du monde.

Que dissimulent les apparences ? C'est peut-être cette question que l'artiste approche dans ce très bel ensemble d'oeuvres quasiment toutes nouvelles et constitutives de cette exposition intitulée « Morphologies»  présentée  à la galerie Louise-Michel de la Ville de Poitiers.Pascale Rémita poursuit là son exploration des vastes territoires de l'aventure humaine. De ses reliefs telluriques, engloutis sous les neiges, surgissent maintenant des figures qui ont  formes d'êtres vivants. Qu'observons-nous ? Des skieurs ? Un commando ? Quatre portraits massifs d'« observateurs » anonymes, casqués et aux regards insaisissables derrière des lunettes qui semblent faire barrage à tout échange. Sont-ils indifférents à la beauté du monde qui s'offre à nous et à eux ? Sont-ils frappés de stupeur par le dérèglement incendiaire qui  menace la planète ? Où encore' tentent-ils d'échapper à « la société d'individualisme de masse où le contrôle s'effectue tête par tête, pixel par pixel », ainsi que l'analyse de l'urbaniste et philosophe Paul Virilio, et « où  l'on préfère la tracabilité à la personnalité » ? A chacun de voir.

Dominique Truco
Commissaire de l'exposition, chargée de mission pour le développement des arts plastiques

(1) Frédéric Emprou dans le catalogue Pascale Rémita coédité en 2009 par le Frac Pays de la Loire, l'artothèque Le Ring de Nantes et la Galerie Marion Meyer.

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Pascale Rémita est une artiste de la peinture, par le style mais surtout par le contenu de ses images. Par le style, la façon de figurer, elle s'inscrit dans le courant actuel, avec les codes contemporains d'une peinture évanescente, diffuse, à la limite de la lecture, à l'instar de Philippe Cognée et plus encore de Luc Tuymans. Ce dernier dit « une image ne peut pas réellement survivre, ni même exister, s'il n'y a pas un point faible dans l'image, [...] à partir duquel vous pouvez sortir de l'image »1. La question de l'épuisement2 de l'image dans la peinture contemporaine est récurrente dans les pratiques des artistes ; est-ce une conséquence d'une image technique de plus en plus précise, surpassant l'oeil humain mais aux qualités parfois médiocres ou de l'omniprésence de l'image dans le quotidien ? Chez nombre d'artistes l'épuisement de l'icône permet l'échappée, hors de l'espace  narratif et de la matière picturale même.

L'idée de nature, singulièrement le paysage, tient une place caractéristique dans le travail de l'artiste. Les paysages enneigés, la glace, certains de leurs effets concourent à définir sa production récente. La composition, la palette, cette manière si singulière de l'in-fini installent une « iconologie fantôme...»3. Les paysages, les morphologies de la montagne, les effets de transparence cristallins recourent à l'art de la suggestion dont Tarjei Vesaas4, le plus grand des écrivains norvégiens, excella dans la description des paysages nordiques, mais plus encore dans le dépassement des forces contraires entre vie et mort, solitude et présence. Pascale Rémita sillonne l'inoccupé ; les skieurs portraiturés avec leurs lunettes sont autant de trouées, d'écrans offrant de nouvelles visions qui invitent au dépassement. Représenter si peu, sans être abstrait, conduit à narrer beaucoup.

A bien des égards, la peinture de Pascale Rémita joue de tous ces contraires notamment dans les séries où parfois la composition générale varie peu, à la manière d'un lent travelling de Oliveira. C'est entre les toiles, dans la narration suspendue, glissante, dans cet ensemble de vides impalpables que son oeuvre prend sens ; l'unité d'histoire et de temps a disparu.

Pascale Rémita nous emmène au souvenir, que, enfant, renversé sur la banquette arrière de la voiture, regardan