2020 ART GENEVE

  • MAN RAY

31.01.2020 - 02.02.2020 Vernissage 30.01.2019



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MAN RAY : PRINTMAKER


"I made prints of what I could not photograph, just as I always photographed what I did not wish to draw. This method allowed me to maintain a free spirit.”
Man Ray 1970


L'un des secrets les mieux gardés qui entoure Man Ray est sa pratique ininterrompue de l'estampe tout au long de sa carrière. L'artiste s'essaye à ce médium pour la première fois en 1914 (si l'on omet une expérience antérieure de gravure de ses dessins sur des manches de parapluie métalliques), en imprimant à la main un recueil de poèmes accompagnés d'illustrations au bloc de bois pour Adon Lacroix, sa première épouse.


C'est à la même période que Man Ray se lance dans la photo, au début pour documenter ses peintures. Il adopte rapidement une pratique expérimentale et utilise la photographie pour réaliser des "gravures sur verre" à partir de la technique du cliché-verre. Pour ce faire, Man Ray dessine directement sur la surface noire d'un négatif en verre, sculptant l'image à l'aide d'un instrument pointu, puis développe ensuite le tout par procédé photochimique. Bien que Man Ray doive sa réputation à la photographie, il ne cesse de produire des œuvres graphiques sa vie durant : des estampes, des livres illustrés ainsi qu'un grand nombre d'œuvres dans des médiums divers.


Pour l'artiste, les techniques d'impression répondent à un besoin qu'aucun autre procédé ne peut satisfaire : elles lui donnent la possibilité de divulguer ses idées au près d'un public bien plus large et varié que ses peintures et dessins seuls. Chez Man Ray, l'itération de thèmes et d'idées est intentionnelle, et l'estampe fut l'instrument parfait pour créer des multiples sur papier. Dans ses oeuvres graphiques, Man Ray ne cesse de revisiter et de réinterpréter des idées qu'il a déjà exprimées dans des oeuvres antérieures. Lors d'un entretien au sujet de sa production graphique, il déclare :


« Il n'y a pas de chronologie dans ma carrière. Je jongle entre plusieurs médiums. La photographie est un simple moyen, au même titre que la peinture, l'écriture, la sculpture, ou même la parole. »


A cheval sur deux continents et plusieurs générations d'artistes, le travail de gravure de Man Ray accompagne le développement des techniques d'impression du XXème siècle. Travaillant dans la grande tradition de l'estampe européenne; à Paris, Man Ray fréquente les grands ateliers de gravure familiaux et produit des ouvrages illustrés en collaboration avec de nombreux artistes surréalistes tels que Louis Aragon, André Breton, Marcel Duchamp, Paul Éluard et Tristan Tzara. C'est également à Paris que Man Ray s'essaye au pochoir, une technique d'impression utilisée en atelier qui annonce l'engouement que connaitra la sérigraphie quarante ans plus tard. 


Man Ray illustre et expose de nombreuses oeuvres pendant sa période parisienne. En 1938 par exemple, Revolving Doors est présenté au Brooklyn Museum lors d'une exposition sur l'abstraction dans la gravure étrangement peu connue, quoi que d'importance historique.
En 1940, Man Ray emporte avec lui son expertise et sa maitrise technique aux États-Unis, où il est forcé de retourner à cause de l'occupation Allemande de Paris. Clinton Adams, co-fondateur des ateliers Tamarind Lithography en 1960, se souvient alors avoir travaillé avec Man Ray en 1948 à l'atelier Lynton Kistler de Los Angeles.
Adams lui attribue d'ailleurs l'introduction d'une technique lithographique novatrice, celle de l'arc-en-ciel, consistant à mélanger différentes encres de couleurs pour obtenir un effet arc-en-ciel. Cette technique est ensuite largement adoptée dans les années 1960, au moment de l'essor de l'impression d'art. Dans les années 1970, May Ray use d'effets multicolores similaires dans son recueil de onze gravures intitulés Anatoms, cette fois réalisées en aquatintes à partir de plusieurs résines de couleur.
En 1966, Man Ray est parmi les premiers artistes à travailler avec l'imprimeur Kenneth Tyler au tout nouvel atelier Gemini G.E.L de Los Angeles. Pourtant les expérimentations de matériaux qu'il y conduit sont peu connues. Il recourt à la technique de la sérigraphie alors très en vogue, et use de feuilles acryliques moulées au lieu du papier comme support.
Ses expérimentations précoces de matériaux et de procédés ont été largement négligées par le monde de l'impression d'art (dont l'attention fut monopolisée par les jeunes pop-artistes de l'atelier Gemini à la fin des années 1960). Ce qui explique qu'à 76 ans, Man Ray fait figure de légende et pourtant son rôle de précurseur dans les arts graphiques reste complètement méconnu.


Les oeuvres graphiques de Man Ray présentées dans cette exposition sont visionnaires en ce qu'elles annoncent les développements futurs de l'impression d'art. Dès la fin des années 1960, celle-ci n'est plus le monopole d’artistes formés dans les ateliers européens. Les imprimeurs d'art se répandent aux États-Unis, mettant en avant l'expérimentation et la collaboration entre artistes et imprimeurs dans la création d'éditions d'art raffinées.


Dans un souci de diffusion de masse, des pop artistes tels qu'Andy Warhol développent ensuite les techniques d'impression dans de nouvelles directions, recourant ainsi à des méthodes photomécaniques jusque-là dédaignées par les spécialistes.  


Les textes critiques portant sur la production graphique de Man Ray se sont surtout concentrés sur ses procédés et sa valeur sur le marché de l'édition d'art. Man Ray s'est d'ailleurs peu intéressé à la distinction entre "manuelle" et "mécanique". Et de manière ironique, après avoir contribué à donner à ces techniques leurs lettres de noblesse, les oeuvres graphiques de Man Ray se trouvèrent ensuite jugées selon les nouveaux critères d’excellence, de professionnalisme, et d'originalité définis par les marchands d'art et la génération de nouveaux imprimeurs américains. A cette époque, Man Ray est de retour en Europe et produit de nombreuses estampes et ouvrages illustrés en Italie et en France. Ses oeuvres sont reçues avec bien plus d'enthousiasme en France, où l'artiste considère que les critiques comprennent bien mieux son travail, qu'aux États-Unis.


Dans les dix dernières de sa vie, Man Ray prend la décision délibérée de ne plus développer de nouvelles idées, pour mettre l'accent sur ses premiers travaux et en affirmer l'importance. Radical et révolutionnaire pour son époque, donnant le primat au concept sur l'excellence de l'exécution, son emploi des techniques d'impression comme outils de diffusion de ses idées au près d'une plus large audience anticipe la distance que le monde de l'art prendra avec l'exécution technique.


Tout au long de sa carrière, Man Ray n'a pas hésité à changer de médium en fonction de ses idées. En 1970, se rappelant comment il en était venu à l'estampe, il déclara :


« J'ai gravé ce que je ne pouvais pas photographier, tout comme j'ai photographié ce que je ne voulais pas dessiner. Cette méthode m'a permis de garder l'esprit libre. »



Text by Katherine Slusher, for 2009's exhibition Man Ray, Printmaker at galerie Francis Nauman, New York.